Jugement récent : L’importance de bien coordonner les divers contrats utilisés par un franchiseur

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Par Me Jean H. Gagnon

Jugement récent : L’importance de bien coordonner les divers contrats utilisés par un franchiseur

En sus de la convention de franchise elle-même, la plupart des franchiseurs font signer à chacun de leurs franchisés quelques contrats accessoires, tels, par exemple, un ou des cautionnements, un ou des engagements de non-concurrence et de confidentialité, un bail ou sous-bail et… une convention d’hypothèque mobilière sur les biens de l’entreprise franchisée.

Le fait pour un franchiseur d’utiliser plusieurs contrats pour une même franchise présente cependant un défi : celui de bien les coordonner entre eux afin de s’assurer qu’ils ne contiennent pas de clauses divergentes ou contradictoires et, aussi, qu’ils se complètent bien l’un l’autre.

Ceci implique une grande précision dans la rédaction de ces divers contrats et, aussi, rend risqué le fait d’utiliser, aux fins d’un réseau de franchises, des contrats initialement conçus pour d’autres fins comme, dans le cas de l’hypothèque mobilière, des conventions d’hypothèques préparées pour des prêteurs, des bailleurs ou des fournisseurs.

Un récent jugement rendu par la Cour supérieure du Québec le 20 avril dernier dans l’affaire McMahon Distributeur pharmaceutique inc. (« McMahon ») c. Pharmacie Marie-Ève Gélinas (que vous pouvez lire en cliquant ici) illustre bien l’un des risques d’une coordination imparfaite entre les divers contrats utilisés par un franchiseur.

Dans cette affaire, un affilié de McMahon Distributeur pharmaceutique inc., laquelle exploite notamment le réseau de pharmacies affiliées « Clini Plus », avait signé avec McMahon divers contrats, dont (i) une Convention d’affiliation, (ii) une Convention d’approvisionnement et, (iii) une Convention d’ouverture de crédit garantie par une hypothèque mobilière sur l’ensemble des biens de sa pharmacie Clini Plus.

En février 2017, après quelques communications avec McMahon, l’affilié vend sa pharmacie à une société de pharmaciens affiliée à un réseau concurrent à celui de McMahon.

Le 31 mars, McMahon transmet à son affilié et à l’acheteur de sa pharmacie un préavis d’exercice de son hypothèque mobilière et, le 10 avril, entreprend des procédures judiciaires visant notamment à obtenir une ordonnance de délaissement des biens de cette pharmacie en exécution de son hypothèque mobilière.

Dans sa décision sur cette demande de délaissement de McMahon, le juge de la Cour supérieure a formulé les quelques commentaires suivants concernant l’hypothèque mobilière consentie à McMahon par son affilié :

« [13]        Il y a plus. La créance est actuellement contestée par les défenderesses. Celles-ci plaident que l’hypothèque a été consentie pour garantir les obligations monétaires de Gestion en vertu de la Convention d’hypothèque P-4.

[14]        McMahon, quant à elle, prétend que cette hypothèque garantit également toutes les obligations de Gestion en vertu des ententes P-1 et P-3 quelles qu’elles soient y compris celle par laquelle Gestion s’est engagée à ne pas vendre l’Établissement sans l’accord de McMahon.

[15]        Ce sera au juge du fond à trancher cette épineuse question. Cependant, la thèse des défenderesses voulant que l’hypothèque ne garantisse que les obligations monétaires de Gestion est loin d’être farfelue.

[16]        En effet, si l’intention des parties avait été d’assujettir à l’hypothèque les obligations non pécuniaires contenues aux conventions P-1 et P-3, elles se seraient exprimées clairement à cet égard puisque les ententes P-1 et P-3 sont antérieures à la Convention d’hypothèque. Pourtant, celle-ci est silencieuse à cet égard sauf quelques vagues références à des ententes intervenues entre les parties.

[17]        De plus, la lecture de la Convention d’hypothèque P-4 démontre, de l’avis du Tribunal, que l’hypothèque consentie ne garantit que les obligations monétaires de Gestion. En effet, il s’agit d’une «ouverture de crédit» pour permettre à Gestion d’acheter des marchandises de McMahon. Le terme «dette» est défini à cette Convention. On réfère particulièrement à «toute somme due» pour des achats, des livraisons, etc. constatés dans des états de compte y compris des frais d’intérêt, des frais de conservation et autres.

[18]        Également, l’ouverture de crédit est limitée à 20 000 $ par semaine.

[19]        Finalement, l’hypothèque est limitée à 500 000 $. Pourquoi avoir imposé une telle limite si elle garantit plus que les sommes dues à McMahon par Gestion dans le cadre de l’utilisation de sa facilité de crédit de 20 000 $ par semaine? Poser la question, c’est y répondre.

[20]        La défense est sérieuse. Si la dette est inexistante, il n’y a pas lieu d’accorder le délaissement forcé des biens hypothéqués de façon urgente et anticipée. Agir autrement placerait les défenderesses dans une situation intenable et leur causerait un préjudice irréparable comme nous le verrons au chapitre de l’ordonnance de sauvegarde. »

La demande d’ordonnance de délaissement présentée par McMahon a donc été rejetée.

Si un franchiseur souhaite que l’hypothèque mobilière qu’il détient, en vertu d’une clause de sa convention de franchise ou d’une convention d’hypothèque mobilière, sur les biens de l’entreprise de son franchisé garantisse non seulement les obligations financières du franchisé, mais aussi ses autres obligations envers le franchiseur (dont ses engagements en matière de vente de son entreprise, de non-concurrence, de confidentialité, etc.), il est important que sa clause, ou sa convention, d’hypothèque mobilière le précise clairement.

Ce jugement comporte par ailleurs aussi un curieux commentaire par lequel le juge mentionne que la convention d’affiliation et la convention d’ouverture de crédit de McMahon « semblent être, pour les parties pertinentes au litige, des conventions de service qui peuvent être résiliées unilatéralement en vertu des articles 2125 et 2129 C.c.Q., sous réserve des dommages et intérêts qui pourraient être dus si la résiliation est effectuée de manière intempestive et de mauvaise foi ».

Bien que ce commentaire semble plutôt refléter un questionnement qu’une opinion de la part du juge, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là d’une interprétation fort risquée, et à mon avis erronée, de la nature juridique du contrat de franchise.

Je vous invite à me contacter par courrier électronique à:jhgagnon@jeanhgagnon.com ou par téléphone au:514.931.2602 pour toute question ou tout commentaire.