Jugement récent : Les risques de ne pas bien planifier la fin d'une convention de franchise!

Pitou Minou et Compagnons
pattes et griffes

Par Me Jean H. Gagnon

Jugement récent : Les risques de ne pas bien planifier la fin d'une convention de franchise!

Comment bien procéder à la phase de fin d’une convention de franchise lorsque le franchisé a le droit, et qu’il désire, poursuivre par la suite ses activités sous une autre bannière?

La plupart des conventions de franchise stipulent tout simplement que, au moment même de la fin du contrat, le franchisé doit immédiatement cesser d’utiliser le concept, les marques de commerce, les autres documents et biens ainsi que les numéros de téléphone et adresses électroniques identifiés au réseau de franchises.

Par contre, jusqu’à cette date, le franchisé demeure un franchisé du réseau et doit donc se comporter comme tel en respectant toutes les clauses de sa convention de franchise.

Ceci soulève plusieurs questions, dont les suivantes : À quel moment, et comment, le franchisé peut-il aviser ses clients de son changement de bannière? Doit-il attendre la date de fin du contrat ou peut-il se préparer quelque peu à l’avance?

Dans un domaine de services, tel le courtage immobilier, à quel moment et comment le franchisé peut-il aviser les courtiers immobiliers affiliés à son agence immobilière franchisée de la fin de sa franchise et de son changement de bannière sans enfreindre sa convention de franchise?

C’est à ces questions à laquelle la Cour supérieure du Québec a eu à répondre dans le jugement fort intéressant qu’elle a rendu le 1er mars dernier dans l’affaire Sutton (Québec) services immobiliers inc. (« Sutton ») c. La société immobilière M.C.M. inc., laquelle faisait affaire sous le nom Groupe Sutton-Humania (« Humania ») (jugement que vous pouvez lire en cliquant ici).

Dans cette affaire, Sutton et son franchisé Humania étaient liés par une convention de franchise dont le terme expirait le 1er mai 2017 à l’égard de laquelle le franchisé a confirmé à Sutton, le 17 février 2017, sa décision de ne pas la renouveler.

Selon le jugement, voici les évènements qui se seraient déroulés la journée même à laquelle Humania a avisé Sutton de sa décision de ne pas renouveler la convention de franchise ainsi que dans les quelques jours suivants :

« [6]          […] En fin de journée, Sutton communique par courriel avec les courtiers. Sutton atteste la fin de la convention à compter du 1 mai 2017 et du fait qu’une bannière Sutton sera en opération sur le territoire au plus tard le 2 mai 2017.

[7]          François Léger affirme que ce courriel a eu l’effet d’une bombe sur les courtiers Humania et qu’il reçoit une centaine d’appels téléphoniques des courtiers qui cherchent des explications.

[8]          Une vidéo, qui n’est pas disponible pour le Tribunal, est diffusée pour les courtiers par Humania le 17 février 2017 et les informe du choix posé par Humania et qui, selon Sutton, attaque le système Sutton et la qualité de ses outils technologiques.

[9]          Le 22 février 2017, le Groupe Sutton-Synergie, franchisé du territoire voisin, annonce aux courtiers que suite au non renouvellement de la convention avec Humania, il devient le propriétaire du territoire et souligne l’ouverture de 3 ou 4 nouveaux bureaux auxquels les courtiers auront éventuellement accès. » 

Par la suite, en réponse aux communications de Sutton et de son autre franchisé Groupe Sutton-Synergie, et, vraisemblablement, en préparation de la fin de sa convention de franchise :

« [10]       Le 23 février 2017 Humania tient une réunion et informe les courtiers qu’elle fera maintenant affaire sous la bannière Royal LePage, un compétiteur de Sutton. Un communiqué de presse est émis à cet effet le même jour. Ce communiqué cite François Léger qui vante les mérites de la nouvelle bannière. Un autre communiqué destiné aux courtiers Humania reprend le même thème et indique aux courtiers que Humania s’occupe de tout : Rassurez-vous, la transition d’une bannière à l’autre se fera très aisément. Vos permis ne changent pas; la transition auprès de l’OACIQ et de la chambre immobilière sera faite automatiquement pour vous; vos courriels seront transférés et vos pancartes et cartes d’affaires seront renouvelées le moment venu. Le document porte en son entête le logo Sutton Humania.

[11]       Un autre document, montrant toujours le logo Sutton Humania, suit le 24 février 2017 et informe les courtiers qu’ils ont dès maintenant accès à leur courriel Royal LePage et au site intranet Royal LePage.

[12]       Le 25 février 2017 une vidéo est transmise aux courtiers et met en vedette François Léger. Ce dernier donne aux courtiers ce qu’il appelle des éléments d’informations.

[13]       D’abord, il fait référence à protection Royale, un produit Royal LePage, dont il louange la qualité exceptionnelle et qui est disponible pour les courtiers depuis le 24 février 2017. Ensuite, il fait état de la présentation donnée aux courtiers par un représentant Royal LePage du coffre d’outils utilisé par la bannière, présentation qui sera reprise au bureau Sutton Royal LePage de Ste-Thérèse pour ceux qui n’auraient pu y assister. Il suggère aux courtiers de visiter le site Royal LePage pour constater de la qualité des outils à leur disposition et rappelle qu’ils ont maintenant un code d’accès au site intranet. Il résume une conversation avec le franchisé Royal LePage du territoire voisin qui lui affirme qu’il existe un monde de différence entre les outils offerts par Sutton et ceux de Royal LePage. On comprend clairement que les produits Royal LePage sont, selon cet interlocuteur, supérieurs.

[14]        Il termine sa présentation par l’annonce d’un tsunami, c'est-à-dire le remplacement des enseignes Sutton par celles de Royal LePage, évènement qui fera de Royal LePage Humania la référence numéro 1 en courtage immobilier au Québec. »

Le franchiseur Sutton dépose alors des procédures judiciaires par lesquelles Sutton allègue que son franchisé Humania et de ses actionnaires et dirigeants « ne respectent pas la convention et se sont lancés dans une concurrence déloyale et une sollicitation illégale, gestes à l’encontre desquels une injonction provisoire est appropriée ». 

Les procédures instituées par Sutton comportaient notamment une requête en injonction provisoire et en ordonnance de sauvegarde visant à empêcher le franchisé de continuer à poser de tels gestes avant la date de fin de sa convention de franchise.

Voici les commentaires fort pertinents émis par le tribunal face à une telle situation :

« [27]       De l’avis du Tribunal, le contenu de la convention favorise nettement la position de Sutton. Le franchisé ne peut durant la convention vanter les mérites d’une autre bannière, enjoindre aux courtiers de ne plus faire partie du système Sutton, attaquer ce système et ses outils, et prévoir un transfert automatique du courtier à une autre bannière. Ceci est contraire à l’esprit de la convention, mais aussi à ses termes qui prévoit la promotion et l’utilisation du système Sutton par le franchisé et son engagement de ne pas établir une concurrence.

[..]      

[30]       Évidemment, la convention demeure en vigueur jusqu’au 1 mai 2017 et Humania est lié par ces termes dont la clause qui traite de la sollicitation. 

[31]       Les parties ont peu discuté du critère de l’urgence, mais le Tribunal est satisfait qu’effectivement ce critère soit respecté. […]

[32]       Aucun reproche ne peut être dirigé envers la demande vu le court délai entre les faits connus et la présentation de l’injonction. Par ailleurs, sans l’intervention du Tribunal, il est clair que Humania poursuivra ses démarches pour concurrencer Sutton et nuire à sa marque alors que la convention est toujours en vigueur.

[33]         Qu’en est-il du préjudice irréparable? Humania dit que le préjudice, s’il existe, se limite à la redevance que peut percevoir Sutton et que ceci est facilement quantifiable. Au contraire, la demande soulève le préjudice irréparable causé à la bannière Sutton. […]

[34]       Le Tribunal conçoit que le tort susceptible d’être causé à la demande est difficilement quantifiable. Sutton a droit à la protection de son système de franchise ainsi qu’au respect de la convention et ce n’est pas en termes de nombres de courtiers ou de redevance que ceci peut s’établir.  

[35]       Enfin, vu les conclusions du Tribunal sur la preuve et les gestes de Humania, il est clair que la balance des inconvénients joue en faveur de la demande. »

Le tribunal a donc accueilli en partie la requête en injonction provisoire et en ordonnance de sauvegarde déposée par le franchiseur selon les termes suivants :

« [37]       ACCUEILLE la demande pour l’émission d’une injonction provisoire, d’une demande pour l’émission d’une ordonnance de sauvegarde valable pour une durée de dix (10) jours à compter du présent jugement;

[38]       ORDONNE aux défendeurs, La Société Immobilière M.C.M. inc. ( Groupe Sutton - Humania ), François Léger et Anne Léger, leurs associés, administrateurs, dirigeants, et actionnaires de s’abstenir, pendant toute la durée de la convention de franchise, directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, de faire concurrence, exploiter, participer, s’impliquer dans tout commerce de courtage immobilier qui fait concurrence à Sutton;

[39]       ORDONNE aux défendeurs, La Société Immobilière M.C.M. inc. (Groupe Sutton - Humania ), François Léger et Anne Léger de s’abstenir de faire la promotion de Royal LePage, de ses produits, systèmes, offres de services et outils pendant toute la durée de la Convention;

[40]       ORDONNE aux défendeurs, La Société Immobilière M.C.M. inc. (Groupe Sutton - Humania), François Léger et Anne Léger de s’abstenir d’utiliser le nom, logo et marques de commerce appartenant à Sutton en association avec Royal LePage;

[41]       DÉCLARE que les parties demeurent assujetties à la convention de franchise intervenue le 1 mai 2013; ».

Évidemment, ce litige n’en est qu’à ses tout débuts et, à moins d’un règlement, d’autres jugements seront vraisemblablement rendus dans ce dossier.

Ce jugement démontre bien quelques-unes des nombreuses difficultés auxquelles sont confrontés franchiseurs et franchisés au moment de la fin d’une convention de franchise.

Cette étape, souvent cruciale pour chacun du franchiseur et du franchisé soulève aussi plusieurs autres questions et enjeux importants. Le recours à un conseiller juridique possédant une véritable expertise en franchisage m’apparaît alors vraiment nécessaire afin de prévenir des recours judiciaires complexes et coûteux.

Je vous invite à me contacter (par courrier électronique à jhgagnon@jeanhgagnon.com ou par téléphone au 514.931.2602) pour toute question ou tout commentaire.