Les baux commerciaux et leurs particularités dans le domaine de la franchise

F. Georges Sayegh, D.S.C., Adm. A, FCMC, est un expert-consultant en franchisage et en transfert de technologie. Il est également l'auteur de 18 livres sur les franchises et les entreprises connexes. Pour le joindre : gsayegh@gsayegh.com ;
Tél. : (514) 216-8458.
Selon Motley Fool, société de services financiers qui s’est donné pour mission de rendre le monde plus intelligent, plus heureux et plus prospère, et qui touche chaque mois des millions de personnes grâce à ses solutions et ses conseils gratuits ainsi que ses analyses de marché, le volume mondial des transactions en immobilier commercial a atteint 757 milliards de dollars en 2024, soit une hausse de 13 % par rapport à 2023. Les analystes attribuent cette progression à la vigueur persistante de la croissance économique et à un environnement monétaire relativement moins contraignant.
En outre, d’après IBISWorld, entreprise spécialisée dans la fourniture d’informations et d’analyses sectorielles à l’échelle internationale, le marché américain de la location commerciale compte plus de 367 000 entreprisespour l’année 2025, générant un chiffre d’affaires total de257,5 milliards de dollars. Les baux commerciaux ont généralement une durée comprise entre1 et 25 ans, la fourchette la plus courante se situant entre 1 an et 3 ans.
Par ailleurs, selon l’International Franchise Association (IFA), on recense 831 000 établissements franchisésaux États-Unis en 2025, employant 8,8 millions de personnes. Ensemble, ils devraient générer 936,4 milliards de dollars de chiffre d’affaires, surpassant ainsi la croissance de l’économie américaine dans son ensemble.
Peu importe le nombre de nouvelles entreprises ou la vitalité du marché, la signature d’un bail commercial constitue toujours une étape stratégique et décisive : elle marque le passage du simple concept d’affaires à la concrétisation d’une exploitation pleinement opérationnelle.
L’objectif de cet article n’est donc pas d’énumérer les statistiques sur le nombre d’établissements, d’emplois ou de revenus, ni d’analyser les variations annuelles, mais plutôt de démystifier les différents types de baux commerciaux utilisés dans l’univers de la franchise, et d’en comprendre les implications juridiques, financières et opérationnelles.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de présenter les principales configurations de baux commerciaux que l’on retrouve dans le domaine de la franchise :
-
Le promoteur-développeur acquiert un terrain, y réalise un projet immobilier, puis propose à un franchiseur de louer un espace au sein de ce développement.
-
Le propriétaire d’un centre commercial, quelle qu’en soit la taille ou la typologie, souhaite attirer un franchiseur afin qu’il occupe une superficie donnée dans son complexe.
-
Le propriétaire d’un centre commercial confronté à la vacance d’un local principal (anchor tenant) choisit de subdiviser cet espace en plusieurs unités destinées à des locataires de taille moyenne, et de solliciter des franchisés ou des franchiseurs pour les occuper.
-
Le franchiseur identifie un terrain vacant à fort potentiel et approche le propriétaire afin de négocier un bail à long terme en vue d’y implanter une unité franchisée.
-
Le franchiseur acquiert un terrain dans l’objectif d’y construire un établissement qu’il exploitera directement en succursale en propre (corporate unit).
-
Le franchiseur achète un terrain et y fait bâtir un établissement, non pas pour l’exploiter lui-même, mais pour le proposer en location à un franchisé potentiel.
-
Un franchisé déjà propriétaire d’un terrain approche un franchiseur pour obtenir le droit d’exploiter la franchise sur son site. Le franchiseur accepte à condition de demeurer le titulaire principal du bail (head lease).
-
Un franchisé en recherche d’implantation obtient l’accord d’un franchiseur pour l’ouverture d’une unité, sous réserve de trouver un local approprié. Il mandate alors un courtier immobilier afin de repérer un emplacement correspondant aux critères d’implantation.
Ces différents scénarios appellent une analyse comparative des avantages et inconvénients de chacune de ces approches, tant du point de vue juridique que financier et stratégique.
Les avantages :
-
Partenariat promoteur–franchiseur – La location d’un terrain par un promoteur immobilier à un franchiseur présente des bénéfices mutuels. Le franchiseur accède à un emplacement stratégique avec des coûts d’amorçage potentiellement réduits et un risque limité, tandis que le promoteur sécurise un bail à long terme avec un locataire de renom, gage de revenus locatifs stables et de valorisation accrue de son projet immobilier.
-
Attractivité pour les centres commerciaux – Inviter un franchiseur à occuper un espace dans un centre commercial offre au propriétaire un locataire préqualifié, solvable et porteur d’une marque reconnue. Les franchises amènent généralement une clientèle déjà fidélisée et investissent substantiellement dans l’aménagement, ce qui contribue à dynamiser la fréquentation et l’attrait global du centre, tout en réduisant l’exposition aux risques associés aux commerces indépendants en démarrage.
-
Subdivision d’un local principal vacant – Transformer un grand espace inoccupé en plusieurs unités de taille moyenne permet au propriétaire de diversifier son portefeuille locatif, d’attirer une clientèle plus variée et d’accroître le trafic global. Cette approche peut générer un revenu locatif au mètre carré supérieur à celui d’un seul grand locataire et diminue la dépendance envers un unique occupant, renforçant ainsi la résilience du centre face aux fluctuations du marché.
-
Bail à long terme sur un terrain stratégique – Pour un franchiseur, conclure un bail à long terme avec un propriétaire foncier sur un site identifié comme stratégique assure la maîtrise d’un emplacement clé à des conditions avantageuses. Cela réduit les coûts initiaux, garantit la disponibilité d’un local conforme aux besoins du concept et facilite l’expansion en permettant au franchiseur de se concentrer sur le développement du réseau plutôt que sur la gestion foncière.
-
Exploitation en propre par le franchiseur – Posséder et exploiter une unité corporative permet au franchiseur de garder un contrôle direct sur un site névralgique ou de tester un nouveau format avant de le proposer en franchise. Cette option favorise la maîtrise des opérations, le respect strict des standards de marque et peut offrir des marges plus élevées, tout en servant de laboratoire d’expérimentation pour affiner le modèle économique.
-
Propriété foncière avec location à un franchisé – Lorsqu’un franchiseur construit un établissement sur un terrain acquis puis le met en location à un franchisé, il limite son exposition aux risques opérationnels tout en assurant un flux locatif régulier. Cette stratégie permet également de proposer aux franchisés des emplacements clés « prêts à opérer », accélérant ainsi le déploiement du réseau.
-
Franchisé propriétaire avec bail principal conservé par le franchiseur – Un franchisé propriétaire de son terrain qui accepte que le franchiseur conserve le bail principal bénéficie d’une sécurité d’exploitation et d’un meilleur contrôle sur son site, tout en optimisant ses investissements initiaux. De son côté, le franchiseur assure la pérennité d’un emplacement stratégique dans son réseau sans supporter la charge de la propriété foncière.
-
Recherche proactive d’emplacement par le franchisé – Lorsqu’un franchisé s’engage lui-même, via un courtier spécialisé, dans la recherche d’un local, il gagne en rapidité et en efficacité pour l’ouverture de son point de vente. Cette anticipation garantit une adéquation optimale entre le site retenu et les critères d’implantation du franchiseur, augmentant ainsi les chances de succès commercial dès le démarrage.
Les inconvénients :
a)Risque de locaux ou terrains non-occupés et inadéquation locative pour le promoteur-développeur – Lorsqu’un promoteur acquiert un terrain dans le but d’y intégrer un franchiseur, il s’expose au risque de ne pas trouver de candidat répondant à ses critères ou d’échouer à proposer des conditions locatives suffisamment attractives. Cette situation peut engendrer des retards dans le développement du projet, générer des pertes financières et, dans certains cas, affecter la réputation globale de l’opération immobilière.
b)Dépendance à la performance du franchiseur pour les centres commerciaux – Pour un propriétaire de centre commercial, miser sur la présence d’un franchiseur implique une dépendance directe à la santé financière et à la popularité de la marque. Une baisse de performance ou une crise de réputation du franchiseur peut se répercuter négativement sur l’ensemble du centre, même si les autres locataires demeurent prospères.
c)Perte d’attractivité liée à la subdivision d’un espace phare – La transformation d’un grand local occupé auparavant par un locataire principal (anchor tenant) en plusieurs unités de taille moyenne peut entraîner une diminution de la fréquentation et de l’attrait global du centre. Si cette stratégie peut répondre à un besoin immédiat de rentabilité en cas de non à-occupation ? importante, elle ne remplace pas toujours la force d’attraction d’un locataire phare, ce qui peut fragiliser la performance des autres occupants.
d)Risques opérationnels liés au bail à long terme sur un terrain vacant – Pour un franchiseur, la conclusion d’un bail à long terme avec un propriétaire foncier sur un site identifié comme stratégique comporte le risque que les performances commerciales ne soient pas au rendez-vous. La rentabilité de l’opération dépendra fortement de la réussite du franchisé, avec un impact potentiel sur l’image de marque et la cohérence opérationnelle du réseau.
e)Charge financière et risque de vacance pour le franchiseur propriétaire-bailleur – Acquérir un terrain, y construire un établissement et le destiner à la location à un franchisé expose le franchiseur à deux risques majeurs : ne pas trouver de franchisé preneur et supporter les coûts fixes liés à l’entretien et à la gestion du bâtiment. En outre, la vacance locative prolongée peut peser lourdement sur la trésorerie et la rentabilité du projet.
f)Perte de contrôle pour le franchisé propriétaire lorsque le bail principal est détenu par le franchiseur – Bien que la propriété foncière semble avantageuse, la situation où le franchiseur détient le bail principal (head lease) confère à ce dernier un pouvoir décisionnel sur l’usage du bien. Cela peut se traduire par des restrictions opérationnelles, une complexité accrue en cas de revente de la franchise et une vulnérabilité financière si le franchiseur met fin au contrat de franchise.
g)Risque financier lors de la recherche proactive d’un local par le franchisé – Un franchisé qui prend l’initiative de chercher un emplacement via un courtier assume les frais de recherche et autres dépenses associées, parfois sans garantie que la franchise soit accordée. Si le projet n’aboutit pas, ces coûts sont perdus, ce qui représente un risque financier important avant même le démarrage de l’activité.
Sur la base de ce qui précède, plusieurs configurations sont envisageables pour déterminer qui détient et contrôle le bail dans le cadre d’une relation de franchise. Chaque réseau peut adopter une approche différente selon sa stratégie et sa tolérance au risque :
a)Le bailleur exige la garantie du franchiseur afin de se protéger contre tout défaut de paiement ou manquement contractuel du franchisé.
b)Le bailleur souhaite que le franchiseur soit le locataire principal, avec la possibilité de sous-louer au franchisé tout en demeurant responsable vis-à-vis du propriétaire en cas de défaillance de ce dernier.
c)Le franchiseur cherche à garder la maîtrise de l’emplacement tout en évitant d’inscrire le passif potentiel du bail à ses états financiers, privilégiant des clauses de contrôle sans prise directe du bail.
d)Le franchisé veut sécuriser son droit d’occupation, même en cas de litige ou de rupture du contrat de franchise, afin de ne pas perdre l’accès à un site stratégique.
e)Le franchisé accepte de céder un droit au bail au franchiseur si les performances de l’établissement ne sont pas conformes aux attentes, permettant ainsi au franchiseur de repositionner le site.
En conclusion, ces scénarios illustrent la diversité des situations auxquelles peuvent être confrontés bailleurs, franchiseurs et franchisés. L’imagination contractuelle n’a pratiquement pas de limites dans ce domaine.
Par ailleurs, cette analyse met en lumière un point essentiel : le choix et la maîtrise de l’emplacement sont déterminants dans la réussite d’une franchise. Quel que soit le secteur d’activité, les réseaux performants s’appuient sur la force de leurs sites pour optimiser la visibilité, renforcer la notoriété et asseoir leur réputation.
Ainsi, il est impératif pour un franchiseur de mettre en place une stratégie immobilière proactive et de conserver une influence réelle sur les implantations de son réseau. Étant donné que la majorité des franchises exploitent leurs activités dans des locaux loués, la capacité du franchiseur à préserver ses droits et à maintenir l’exploitation en cas de défaut ou de résiliation devient un enjeu majeur. Le but est de garantir la continuité opérationnelle sur le site avec un minimum de perturbations, même en cas de défaillance du franchisé ou de rupture anticipée du bail.